MEMORY DRIFT

MEMORY DRIFT – 2017

Au travers de cet ensemble d’encre, Nicolas Dhervillers quitte délibérément le support photographique tout en poursuivant une réflexion sur la pratique photographique, son obsolescence et son renouveau à l’heure du numérique. Cette problématique associée à la porosité des médiums – de la photographie, de la peinture et des arts graphiques – se situe dans la lignée de ses recherches antérieures sur la mémoire et la perception.

Qu’elles représentent un paysage, une ville ou un chemin, une côte enclavée ou une plage infinie, les encres de Nicolas Dhervillers invitent à la rêverie et à l’enchantement. Une fois de plus, la nature occupe une place centrale, tantôt bienveillante et surprenante, tantôt plus sombre et angoissante. L’inquiétante étrangeté, thème récurrent des précédentes séries photographiques de l’artiste, participe de cet ensemble, en plusieurs digressions et essais. La technique dite de « nuit américaine » présente dans l’ensemble de son œuvre (consistant à travailler sur les densités et les opacités de lumière par l’utilisation de calques numériques) est ici réduite à une idée, un concept. Dans ce nouveau travail il n’y a plus d’image originale et la seule la transcription du calque subsisterait en encre de chine. Le dispositif invisible, celui qui sous-tendait l’illusion photographique, tendrait ainsi à être dévoilé.

Ces images mentales appartiennent à quelques bribes de souvenirs entrelacées les uns aux autres. Telles des songes arrachés à la mémoire, nostalgie à la dérive. La réalisation de ces dessins procède d’une technique propre à l’artiste, qui interrompt l’encrage par un assèchement forcé du papier. Le temps est pour ainsi dire figé dans un instantané. Cette technique et l’effet obtenu évitent de fait certains rapprochements évidents et trop codifiés avec l’estampe de style japonisant. Point de départ de cet essai en plusieurs volets, « Crossing » fait référence à Caspar David Friedrich et son oeuvre la plus emblématique, « Le voyageur contemplant une mer de nuages » (1818). Cette fois, la silhouette méditative est absente. Les créations frontales de Nicolas Dhervillers proposent tantôt plusieurs points de fuite, tantôt aucun. Contrairement à ses photographies antérieures, les compositions ici invitent à plus d’espace par le jeu de lignes horizontales mises bout à bout. Elles semblent sortir du cadre, s’étirer. Le hors-champs devient un ailleurs délibérément ouvert. Alors qu’auparavant, tout était condensé, concentré, resserré en une composition photographique fourmillant de détails hyper maitrisés, l’artiste ré-invente au travers du dessin ses règles et ses protocoles. Nicolas Dhervillers revendique par ailleurs sa filiation à Claudio Parmiggiani, tentant de retenir l’ombre, non pas d’un objet concret comme ce dernier mais comme l’impression d’un paysage mental. De ces pièces autonomes, diptyques et triptyques, Nicolas Dhervillers invite le spectateur dans un ailleurs. Lisse et sans discontinuité, le passage existe entre deux mondes, l’un concret et l’autre abstrait. Concret quand l’oeil fait le point et ressent le détail au premier plan (roche, route, végétation, chemins). Abstrait puisque l’oeil se retrouve immergé dans la matière impalpable, celle difficile à fixer (l’eau, l’air et la brume).


Ink on Hahnemühle paper and glass – Different sizes – Different projects : « Layers », « Crossing », « Flash Back » – 2016